Et j'y pense presque plus, au fond.
C'est pas parce que j'en parle que j'y pense.
C'est pas parce que parfois j'ai couru sur le trottoir, le coeur pas loin de sortir de ma cage thoracique, de peur d'être en retard, en écrasant toutes les merdes de chiens que des connards n'avaient pas ramassées, en cognant quinze vieux, et en traversant n'importe comment (j'ai qu'à suivre le mec devant moi, avec son crâne dégarni et ses lunettes d'opticien, il m'a tout l'air du mec qui fait attention quand il traverse. Il doit rentrer chez lui -lui- le soir, retrouver sa femme et ses gosses, il doit pas vouloir se faire écraser. Ou alors si, mais je décide d'être positive et je traverse en même temps que lui, ma vie est entre ses mains, mon destin, l'heure qui vient, un jour je le remercierai d'avoir bien traversé cette rue) et plus je cours vite, plus je panique en craignant le moment où je vais arriver, rouge et haletante, le visage un peu humide,et nulle part pour se refaire la gueule, aucune explication à fournir. "Ben oui j'ai couru de toutes mes forces, je voulais pas être en retard, tu vois je voulais pas te rater d'une seule seconde", la bouche sèche et les mains tremblantes.
Essayer de sauver la face, être froide et distante, un peu fatale alors que mes jambes se dérobent, que je me sens moche et que je regrette d'avoir mis ce Jean avec ces pompes, que je me dis secrètement que tu dois être en train de penser que tu t'es trompé, tu m'as prise pour quelqu'un d'autre, tu es déçu et voudrait être remboursé, au moins pour le trajet-merde-quoi-ça-coûte-cher-de-nos-jours.
J'essaie de ne pas faire de blagues, même si je sais qu'un jour tu m'as trouvée drôle, mais je veux pas non plus être chiante. Au final je ne dis plus rien. Je perds le contrôle et je voudrais juste me reposer sur toi mais c'est impossible. Tout est impossible. On a rien à faire ici et on le sait.Cassons-nous, pitié. Disparaissons, fais ça pour moi. Tu peux au moins faire ça. J'ai déjà tout fait. Et puis vient le moment où inévitablement on s'embrasse et tu veux que je te dise, c'est pas comme j'aurais cru. C'est mieux, c'est comme ça, ça m'emplit de tendresse et j'aimerais pleurer de ressentir ça, ici, maintenant parce que comme je l'ai dit il y a environ cinquante-sept mots, c'est impossible, ça ne m'arrange pas du tout non non non j'aurais préféré que tu aies mauvaise haleine ou un truc entre les dents...
Mais bref, c'est pas du tout ce que j'étais partie pour raconter et tout est inventé,
of course.
A dire le vrai, c'est déjà loin et ça ne fera que s'éloigner jusqu'à devenir un souvenir impalpable. Un truc auquel tu repenses une fois tous les ans ou deux. Et tu te dis "ah ouais, c'était quoi ça déjà?". Et puis tu riras d'avoir accordé un peu d'importance à des trucs aussi cons. Et tu parleras d'autres choses, qui te sembleront tout aussi importantes, et t'en feras des articles sur un blog avec un nom à la con, et quelques connards te diront que c'est de la merde et qu'on s'en fout de ta vie, et tu seras contente de voir qu'il y aura toujours des connards à envoyer se faire foutre.
La vie, la vraie.